← Retour

Interview sur France Culture : « Depuis le 7 octobre, des fantômes se sont réveillés »

Delphine Horvilleur était l’invitée de Guillaume Erner le 26 février 2024 sur France Culture. Parmi les sujets abordés : les difficultés de communication après le 7 octobre, les mises en garde bibliques contre l'hubris de puissance, la dissociation des combats antiracistes et antisémites, et la reconnaissance des violences sexuelles en temps de guerre, notamment en Israël.

 
 
 

Extraits choisis

 

1:15

“[Depuis le 7 octobre j’ai eu] le sentiment que toute conversation devenait difficile ou impossible. Le sentiment peut-être que certains mots étaient manquants, ou que les mots qu'on m'adressait étaient comme décalés, qu’il y avait parfois même une objection dans le langage, tous ces moments où on plaçait des “mais”, face à l 'horreur, l 'impression que peut -être on relativisait, ou que tout simplement les mots parvenaient plus à dire ce qu'on essayait de transmettre.

 

6:53

[Guillaume Erner] Vous avez évoqué un passage du Deutéronome où Moïse met en garde son peuple avec une partie de ce passage que vous mentionnez : 'Il arrivera qu'une fois installé sur ta terre, tu te croiras fort, mais que soudain, tu percevras tes brisures.’

 

[Delphine Horvilleur] C'est un message qui est répété, presque martelé, dans la Bible, dans le Deutéronome, cette mise en garde contre ce qu'on pourrait appeler aujourd'hui l'hubris de puissance. L'idée que lorsqu'on est installé quelque part, lorsqu'on se sent tellement à la maison et propriétaire, pèse sur nous toujours et en toute circonstance une menace d'idolâtrie du pouvoir, d'idolâtrie de la terre, d'idolâtrie de la force.

 

18:54

Je me souviens d'un temps où l'on pouvait mener simultanément, ensemble et conjointement, les combats antiracistes et les combats contre l'antisémitisme. Le fait que certains, aujourd'hui, aient déconnecté ces combats ou s'imaginent que la lutte contre l'antisémitisme serait une preuve de manque d'empathie à l'égard des autres ou de non-combat contre le racisme est extrêmement troublant pour moi, mais pas seulement pour moi.

 

19:46

Aujourd'hui, on a l'impression, et c'est ce qui est troublant pour beaucoup d'entre nous, que finalement, l'antisémitisme est parfois entretenu par des gens qui précisément se réclament de l'antiracisme. C'est-à-dire que finalement, on ne va pas dénoncer cet antisémitisme, on va le relativiser au nom de la souffrance d'autres minorités, ce qui est totalement aberrant.

Pourquoi ne pourrait-on pas être simultanément empathique pour la douleur des uns et pour la douleur des autres, révolté par ce qui arrive aux uns et par ce qui arrive aux autres ? Ce choix de combats est aberrant.

 

24:00

Simultanément, au moment où le viol comme arme de guerre vient d'être utilisé de façon aussi violente en Israël, au moment où nous avons tous ces témoignages aujourd'hui incontestables de femmes qui ont été violées ou victimes de torture, ou qui sont encore entre les mains de leurs ravisseurs et subissent les abus sexuels qu'on imagine, kidnappées à Gaza, qu'est-ce qui fait que [certains] mettent ce problème de côté, comme si on pouvait effectivement se lever ensemble contre les violences faites aux femmes, à toutes les femmes, mais pas à celles-là ?

 

 

Voir aussi